•  Un message que j'ai reçu :

    Il est notoire que le Coran dit à plusieurs reprises que Dieu ne saurait avoir de fils (voir Coran 2:116, 6:100, 9:30 et 25:2). Or le Coran est censé confirmer la Torah et l'Evangile. Et on lit dans l'Ancien Testament que Dieu se compare à un "Père" (Deutéronome 14:1 et 32:6, Exode 4:22 et Isaïe 64:7) ; de plus, il y a tellement de passages dans les Évangiles qui nous disent que Jésus est le "Fils de Dieu" qu'il faudrait à mon avis vraiment être aveugle et sourd spirituellement pour oser dire le contraire !

    -
    Réponse :

    A) L'emploi de cette formule dans des Révélations antérieures au Coran, et le sens qu'elle y avait :

    Comme l'ont écrit al-Ghazâlî, Ibn Taymiyya et Shâh Waliyyullâh, il est tout à fait possible que cette formule "fils de Dieu" ait été utilisée par Dieu ou par certains de Ses prophètes dans des Révélations antérieures au Coran (cf. respectivement Ar-Radd ul-jamîl, p. 25, Al-Jawâb us-sahîh, 2/56, 3/131, 159, Al-Fawz ul-kabîr, p. 35). Mais, comme l'ont aussi souligné ces trois savants, il faut bien en comprendre le sens. Le fait est que la formule "fils de Dieu" peut signifier deux choses :
    a)
     "qui aime Dieu" / "qui est aimé par Dieu" ;
    b) "qui est une partie de Dieu" ; ou : "qui est Dieu incarné" ; ou encore : "qui a une unité de nature avec Dieu" ; donc : "qui est Dieu" / "en qui il y a une parcelle de divinité" / "à qui on peut / doit rendre un culte" ; en tous cas : "qui est divin", dans un des sens du terme.

    C'est dans le sens a que les Ecritures antérieures au Coran et révélées aux fils d'Israël employaient cette expression.

    Mais c'est le sens b que, après Nicée I (en 325), les chrétiens donnent en général à cette expression à propos de Jésus.

    Et c'est ce sens b qui est concerné par les versets du Coran que vous avez cités, et qui disent que Dieu n'a pas de fils.

    -
    Sur quoi, me direz-vous, nous musulmans nous fondons-nous pour penser que cette formule n'a pas, dans les Ecritures antérieures, le sens b mais uniquement le sens a ?

    Sur deux types de propos présents dans les paroles relatées de Jésus…

    D'une part :

    Jésus a dit lui-même que Dieu et lui sont deux êtres distincts :
    – Jésus a dit que pour entrer dans le Royaume des cieux, "il faut faire non pas ma volonté mais la volonté de mon Père qui est aux cieux" (Matthieu 7/21), soulignant par là qu'il ne s'agit pas de le suivre pour lui-même, mais dans la mesure où il ne dit que ce que Dieu veut et agrée ;
    – Jésus a dit que lui-même ne sait pas quand il reviendra, ni les anges, et que seul le Père qui est aux cieux le sait (Marc 13/32).

    D'autre part :

    Jésus a employé la formule "fils de Dieu" et désigné Dieu par "le Père" à propos d'autres personnes que lui :
    – "Je m'en vais vers mon Père et votre Père, vers mon dieu et votre dieu" (Jean 20/17) ;
    – "Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent, afin de vous montrer fils de votre Père qui est dans les cieux, parce qu'Il fait lever Son soleil sur les mauvais et sur les bons et pleuvoir sur les justes et les injustes" (Matthieu 5/45).
    Or aucun exégète n'a dit que cette "filiation" et cette "paternité" désigneraient une unité de nature entre Dieu et ces autres personnes, de sorte que ces dernières seraient elles aussi Dieu incarnées.

    Du reste, la même formule possède, dans les Ecritures relatant les propos d'autres prophètes d'Israël et antérieures aux Evangiles de Jésus, à l'unanimité le sens a : ainsi :
    – dans le texte de la Genèse, les Anges sont appelés "fils de Dieu" (Genèse 6/2-4) ;
    – dans le 2ème livre de Samuel, il est relaté que Natan est chargé de transmettre ce propos de Dieu à David : "Je serai pour lui un père et il sera pour moi un fils ; s'il commet une faute, je le corrigerai en me servant d'hommes pour bâton et d'humains pour le frapper" (2 Samuel 7/14) : il serait question, dans ce propos, de Salomon (TOB, note de bas de page).

    -
    En fait Jésus employait un langage allégorique et énigmatique, fait de paraboles et de métaphores :

    Jésus employait souvent un langage énigmatique. Les textes évangéliques actuels le relatent explicitement : "Tout cela, Jésus le dit aux foules en paraboles, et il ne leur disait rien sans paraboles..." (Matthieu 13/34). Ses disciples lui demandèrent même pourquoi : "Pourquoi leur parles-tu en paraboles ?". Il répondit : "Parce qu'à vous il est donné de connaître les mystères du Royaume des cieux, tandis qu'à ceux-là ce n'est pas donné. Car à celui qui a il sera donné, et il sera dans la surabondance ; mais à celui qui n'a pas, même ce qu'il a sera retiré. Voici pourquoi je leur parle en paraboles : parce qu'ils regardent sans regarder et qu'ils entendent sans entendre ni comprendre..."(Matthieu 13/10-13). Mais parfois, même ses disciples ne comprenaient pas ; ainsi, Jésus leur ayant dit un jour : "Gardez-vous du levain des Pharisiens et des Sadducéens !", ses disciples se firent cette réflexion : "C'est que nous n'avons pas pris de pains."Jésus leur dit alors : "(…) Comment ne saisissez-vous pas que je ne vous parlais pas de pain quand je vous disais : Gardez-vous du levain des Pharisiens et des Sadducéens."Alors ils comprirent qu'il n'avait pas dit de se garder du levain des pains, mais del'enseignement des Pharisiens et des Sadducéens (Matthieu 16/5-12). De même, alors qu'il avait dit : "Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche qui rend l'homme impur ; mais ce qui sort de la bouche, voilà ce qui rend l'homme impur", les disciples virent lui dirent"qu'en entendant cette parole, les Pharisiens ont été scandalisés" ; Pierre lui dit ensuite : "Explique-nous cette parole énigmatique", et le Messie de lui répondre : "Etes-vous encore, vous aussi, sans intelligence ?" avant de lui expliquer le sens de ce qu'il avait dit de ce qui rend ou non l'homme impur (Matthieu 14/10-16).
    Jésus a annoncé qu'un jour viendra où il ne parlera plus à ceux qui l'écouteront en termes énigmatiques : "Je vous ai dit tout cela de façon énigmatique, mais l'heure vient où je ne vous parlerai plus de cette manière, mais où je vous annoncerai ouvertement ce qui concerne le Père..." ; ses disciples vont lui dire ensuite : "Voici que maintenant tu parles ouvertement et que tu abandonnes tout langage énigmatique..." (Jean 16/25-29).

    -
    Lire les passages "équivoques" à la lumière des passages "univoques" :

    Il s'agit de raisonner de la façon suivante : d'une part il est certain, nous l'avons vu plus haut, que la formule "fils de Dieu" a été employée dans le sens a par des prophètes bibliques antérieurs à Jésus, et par Jésus lui-même à propos de ses disciples ; d'autre part il est établi que Jésus utilisait un langage parfois énigmatique, comme lui et ses disciples le reconnaissaient.

    Il s'agit donc de lire les passages énigmatiques, "équivoques", – comme "Je suis le fils de Dieu" ou "Je suis sorti de Dieu" – à la lumière des passages "univoques", et non de prendre en considération les passages "équivoques" en les appréhendant de façon littérale, et de fermer complètement les yeux sur les passages univoques et explicites.

    Etant donné que Jésus a dit que le premier commandement est de n'adorer que Dieu (Matthieu 22/37-38) et étant donné que Jésus et Dieu sont deux êtres distincts (puisque Jésus ne sait pas certaines choses que Dieu sait), il faut appréhender les propos "équivoques" tels que "Je suis fils de Dieu" et "Je suis sorti de Dieu" dans un sens qui ne contredit pas ces passages "univoques".

    "Fils de Dieu" est en fait une métaphore : les humains qui ont acquis une proximité avec Dieu ont été comparés aux fils d'un homme : comme les fils de cet homme cherchent à faire ce qui plaît à leur père, et comme cet homme aime ses fils plus qu'il aime autrui, les humains qui veulent être proches de Dieu cherchent à faire ce qui Lui plaît, et Lui les aime davantage que les hommes qui ne sont pas ses fils. C'est bien pourquoi Jean l'évangéliste a écrit : "Et nous avons contemplé sa gloire [la gloire de Jésus], gloirecomme celle que tient de son père un fils unique" (Jean 1/14) : le fait qu'il y a comparaison est ici explicitement mentionné.

    Relève du même ordre d'idées la discussion suivante entre Jésus et des personnes qui viennent d'apporter foi en le fait qu'il est prophète de Dieu mais qui hésitent encore : Jésus leur dit : "Moi je dis ce que j'ai vu auprès de mon Père, tandis que vous, vous faites ce que vous avez entendu auprès de votre père !" Ils ripostent : "Notre père, c'est Abraham." Jésus leur dit : "Si vous êtes enfants d'Abraham, faites donc les œuvres d'Abraham. (…) Mais vous, vous faites les œuvres de votre père." Ils lui répliquent :"Nous ne sommes pas nés de la prostitution ! Nous n'avons qu'un seul père, Dieu !"Jésus leur dit : "Si Dieu était votre père, vous m'auriez aimé, car c'est de Dieu que je suis sorti et que je viens ; je ne suis pas venu de mon propre chef, c'est Lui qui m'a envoyé. (…) Votre père, c'est le diable, et vous avez la volonté de réaliser les désirs de votre père. (…)" (Jean 8/38-44). Voyez, ici encore, l'évidence du sens allégorique.

    Le texte biblique emploie aussi parfois une métaphore conjugale : ce qui doit se consacrer uniquement à Dieu est comparé à une épouse, et Dieu à son mari. Ainsi, quand il est reproché à Jérusalem – c'est-à-dire à ses habitants – de s'être adonnée au culte d'autres êtres que Dieu, on lit ces propos, relatés de Dieu : "Personne ne s'occupait de toi, puis je t'ai vue, je t'ai éduquée, t'ai épousée, tu as eu des fils et des filles de moi ; mais ensuite tu t'es prostituée, tu as gâché les bijoux que je t'avais donnés, tu as sacrifiés tes fils et tels filles" (voir Ezéchiel 16-9).

    Tout ceci n'est que parabole et n'est pas à prendre dans un sens obvie : Dieu n'a, au sens obvie – donc humain – du terme, ni épouse ni enfant.

    -
    La même chose peut être dite à propos du terme "dieu" – avec un "d" minuscule – :

    Dans l'Ancien Testament, le terme "dieu" – avec un d minuscule – peut également signifier deux choses :
    premièrement) l'être à qui on rend un culte ; il se peut que cet être mérite qu'on lui rende un culte – comme Dieu – ; il se peut aussi que cet être ne le mérite pas mais que des humains le fassent – c'est ce qui explique l'expression biblique "le dieu des Cananéens", qui ne signifie pas que les Fils d'Israël avait un dieu et les Cananéens un autre (certains chercheurs contemporains, n'ayant pas compris ce point, ont cru que les Fils d'Israël sont passés de la monolâtrie – "Elohim" / "Yahvé" étant une divinité tribale inventée par les Fils d'Israël à l'instar des divinités tribales inventées par les tribus voisines – au monothéisme – "Elohim" / "Yahvé" ayant été ensuite, suite à la déportation des Fils d'Israël à Babylone, considéré comme la divinité qui préside aux destinées des autres peuples aussi, donc qui préside à tout l'univers, donc qui est le créateur et le gérant de tout l'univers) ;
    deuxièmement) l'être qui est important, sans qu'un culte lui soit rendu ; ainsi, il est relaté en Exode que Dieu dit à Moïse, parlant de Aaron : "Lui parlera pour toi au peuple, il sera ta bouche et tu seras son dieu" (Exode 4/16) ; toujours en Exode, il est relaté que Dieu dit à Moïse : "Vois, je t'établis comme dieu pour Pharaon, et ton frère Aaron sera ton prophète" (Exode 7/1) ; "dieu" ne signifie pas, ici, "objet de culte" : Dieu n'a sûrement pas voulu dire à Moïse qu'il devra être l'objet de culte de la part de Pharaon : tout ceci est à prendre dans le sens figuré : on peut, dans la TOB, lire ce commentaire en note de bas de page : "c'est-à-dire "il sera ton porte-parole", comme un prophète est le porte parole de Dieu" (TOB) ; ceci par rapport à Aaron ; et par rapport à Pharaon, le propos signifie que Pharaon devra écouter la voix de Moïse lui transmettant ce que Dieu agrée.

    Ibn Taymiyya aussi a cité ce double sens que peut revêtir le terme "dieu" dans les textes des Ecritures antérieures (Al-Jawâb us-sahîh, 2/176).

    -
    Quelques passages des Evangiles où on voit Jésus préciser le sens allégorique de son propos :

    Sous le portique du Temple, à des docteurs de la Loi venus lui demander s'il était ou non le Messie, Jésus répond qu'il l'a déjà dit mais qu'ils ne l'ont pas cru, puis fait une digression à propos de ses disciples, parle de la Puissance de Dieu, enfin conclut par ces termes : "Moi et le Père nous sommes un" (Jean 10/30). Voilà un propos "équivoque". Vous y trouveriez la preuve que Jésus disait bien être le même être que Dieu. Alors qu'il s'agit de lire ce propos à la lumière des propos qui sont, eux, "univoques", et où on voit que Jésus affirme ne pas être le même être que Dieu. Par ailleurs, il se trouve, dans tout le passage où s'insère cette phrase, des indices qui vont dans le sens de cette lecture : en effet, lorsque Jésus a dit cette phrase, les docteurs cherchent à le lapider et lui disent : "Ce n'est pas pour une belle œuvre que nous voulons te lapider, mais pour un blasphème, parce que toi qui est un homme, tu te fais Dieu" (Jean 10/33). Les docteurs de la loi ont donc appréhendé ce propos de Jésus dans son sens littéral : "Moi et le Père nous sommes un", ils l'ont compris comme signifiant : "Je suis Dieu". Mais Jésus leur démontre que ce n'est pas ce qu'il a voulu dire : "N'a-t-il pas été écrit dans votre Loi : "J'ai dit : Vous êtes des dieux" ? Il arrive donc à la Loi d'appeler "dieux" ceux auxquels la parole de Dieu fut adressée ; or nul ne peut abolir l'Ecriture" (Jean 10/33-35). Voyez : Jésus explique ici qu'il n'a employé la phrase "Moi et le Père nous sommes uns" que dans le même sens que le Psalmiste a employé la phrase : "J'ai dit : Vous êtes des dieux" (Psaumes 82/6) : Jésus explique aux docteurs que comme, dans ce passage des Psaumes, nul n'appréhende le terme "dieux" dans un sens littéral – "ceux à qui il faut rendre un culte" ou "ceux à qui des humains ont rendu, à tort ou à raison, un culte" – et chacun sait qu'il est à appréhender dans un sens figuré – "ceux auxquels la Parole de Dieu a été adressée" –, les docteurs de la Loi ne devraient pas appréhender sa phrase à lui dans un sens obvie – une unité de nature entre Jésus et Dieu ("tu te fais Dieu", lui ont reproché les docteurs) – mais dans un sens figuré – une unité de volonté : Jésus a un cœur tellement rapproché de Dieu qu'il ne souhaite plus que ce que Dieu veut et agrée. Et ce qu'il voulait dire aux Docteurs de la Loi était ceci : "Si les prophètes de Dieu ont été nommés "dieux" au sens figuré dans l'Ecriture, pourquoi me refusez-vous ce qui est bien moindre, de dire : "Moi et Dieu nous ne sommes qu'un" ? J'ai voulu dire par cette phrase : "Je ne souhaite que ce que Dieu veut.""
    La preuve qu'il ne s'agit pas d'une unité de nature est que Jésus lui-même a prié Dieu en ces termes à propos de tous ceux qui croiront en lui : "que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu'ils soient en nous eux aussi, afin que le monde croie que tu m'as envoyé. Et moi, je leur ai donné la gloire que tu m'as donnée, pour qu'ils soient un comme nous sommes uns, moi en eux comme toi en moi" (Jean 17/21). Or personne n'a jamais vu dans cette phrase un argument tendant à prouver que les disciples de Jésus étaient eux aussi divins, car étant "en Dieu" : il est bien question d'une unité de volonté.

    Le Prophète Muhammad a lui aussi dit une parole voisine, à propos du fait que Dieu"devient l'ouïe, la vue, la main et le pied" de l'homme qui est devenu très proche de Lui (cliquez ici). Mais les musulmans n'y voient pas la preuve que Dieu s'incarnerait en cet homme.

    Un autre exemple : Jésus a dit, dans un passage déjà cité plus haut : "Si Dieu était votre père, vous m'auriez aimé, car c'est de Dieu que je suis sorti et que je viens ; je ne suis pas venu de mon propre chef, c'est Lui qui m'a envoyé" (Jean 8). "C'est de Dieu que je suis sorti et que je viens" : à lire cette phrase telle quelle, quelqu'un pourrait dire : Jésus a bien dit être une partie de Dieu, être sorti "de Lui-même" ; mais il n'est en rien, car cette phrase doit être prise au sens allégorique, comme Jésus lui-même s'est empressé de l'expliquer dans la phrase qui suit : "Je ne suis pas venu de mon propre chef, c'est Lui qui m'a envoyé" : voilà le sens réel de ce qu'il entendait par "C'est de Dieu que je suis sorti".

    Jésus a employé quelque chose de voisin quand il a dit à propos du Paraclet : "il me glorifiera car il recevra de ce qui est à moi et il vous le communiquera" (Jean 16/14-15). A lire cette phrase seulement, quelqu'un pourrait s'empresser de dire : "Voyez : Jésus est bien Dieu, puisque même lors de l'annonce du Paraclet, que vous musulmans croyez être l'annonce de la venue de Muhammad, Jésus a dit que celui-ci recevra de ce qui est à lui. Mais il faut lire aussi la suite immédiate : "il me glorifiera car il recevra de ce qui est à moi et il vous le communiquera ; tout ce que possède mon Père est à moi ; c'est pourquoi j'ai dit qu'il communiquera de ce qui est à moi". Voyez : Jésus s'est empressé d'expliciter le sens allégorique de son propos : s'il a dit du Paraclet qu'"il recevra de ce qui est à moi", c'est non pas parce que lui, Jésus, serait la source dont le Paraclet recevra, mais parce que c'est de Dieu que le Paraclet recevra ; or ce qui est à Dieu est aussi à Jésus, dans la mesure où Jésus est Messager de Dieu : "tout ce que possède mon Père est à moi ; c'est pourquoi j'ai dit qu'il communiquera de ce qui est à moi."

    -
    Un autre passage des Evangiles :

    "Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu, et le Verbe était Dieu" (Jean 1/1). Quelqu'un pourrait voir dans cette phrase la preuve que Jésus, qui est Verbe de Dieu, disait bien être Dieu. Mais deux choses sont ici à noter...

    La première est que cette traduction ne rend pas tout à fait compte d'une nuance présente dans l'original grec… La langue française, comme d'autres langues européennes modernes, a établi une distinction entre "dieu" – avec un d minuscule – et "Dieu" – avec un d majuscule – : le premier est un nom commun, le second un nom propre. Dans la traduction suscitée, nous avons à deux reprises le terme "Dieu". Or, contrairement à ce que laisse croire cette traduction, l'original grec emploie deux termes différents : dans le passage "le Verbe était tourné vers Dieu", nous avons le mot "ton théon", qui signifie "le dieu", autrement dit : "Dieu". Par contre, dans la seconde phrase, nous avons seulement "théos", ce qui signifie seulement "un dieu" et non pas "Dieu". La différence est de taille, comme nous l'avons vu : le terme "dieu" a été employé à propos de Moïse aussi, au sens figuré, et sans que cela lui confère un sens de culte.

    Par ailleurs il faut souligner que, quoi qu'il en soit, ce passage n'est pas constitué de paroles relatées de Jésus mais d'un propos de celui qui a écrit le quatrième évangile canonique. La différence est de taille...

    -
    La lecture des propos et des actes de Jésus tels que relatés dans les quatre Evangiles canoniques :

    Une langue n'est pas seulement un véhicule de transmission des idées ; c'est aussi un outil qui structure en partie ces idées. Quand, au IVème siècle, les chrétiens étaient en pleine controverse à propos de la nature du Messie – est-il humain ou divin – et qu'ils cherchaient des réponses dans les évangiles, les documents de ceux-ci qui étaient considérés comme originaux étaient disponibles en langue grecque ; la majorité des évêques réunis à Nicée en 325 ne percevaient-ils pas des termes tels que "fils de Dieu" – déjà énigmatiques mais dont l'emploi au sens allégorique est courant dans une langue et une culture sémitiques – à travers la culture hellénistique, là où les mythes des demi-dieux et fils de Zeus étaient légion ? Jésus avait réalisé de nombreux actes de ce genre ; Jésus disait être fils de Dieu ; Jésus serait donc un humain possédant une nature humaine et une nature divine.

    -
    B) On comprend dès lors ce que le Coran a voulu dire en affirmant qu'il était contraire au pur monothéisme que de dire que Dieu a un fils : il s'agit du sens b de la formule, et non du sens a :

    Le Coran se démarque de l'emploi de la formule "fils de Dieu" dans ce sens b non pas seulement par rapport aux chrétiens "post-nicéens" (Coran 19/35) mais aussi par rapport à certains polythéistes arabes de l'époque de la révélation, qui disaient : "Al-Lât, al-'Uzzâ et al-Manât sont filles de Dieu" : on peut lire à ce sujet Coran 37/151-155, 43/15-19, etc. Le fait est que ces arabes aussi voulaient, par ce biais, dire que ces entités "ont une unité de nature avec Dieu et qu'on peut donc leur rendre un culte" (sens b).

    Mais le Coran connaît aussi l'utilisation de la formule "fils de Dieu" dans son sens a. Ainsi, à l'époque de Muhammad (sur lui la paix), certains juifs et certains chrétiens avaient dit : "Nous sommes les fils de Dieu et Ses bien-aimés". Un verset du Coran fut alors révélé qui commence ainsi : "Les juifs et les chrétiens ont dit : "Nous sommes les fils de Dieu et Ses bien-aimés"" et qui se poursuit par l'affirmation de Dieu expliquant qu'Il n'a pas de préférence pour un peuple à cause de lui-même [la seule préférence étant due à la croyance en Son Unicité, à l'acceptation de tous Ses messagers, et aux actions que l'on fait] : "Vous êtes plutôt des humains parmi (tous) ceux qu'Il a créés"(Coran 5/18). Voyez : il est clair qu'ici la formule "fils de Dieu" n'a été employée que dans son sens a (en disant cette phrase, ils ne se considéraient évidemment pas comme ayant une nature divine, méritant d'être adorés par les autres hommes) ; c'est bien pourquoi Dieu affirme certes ne pas être d'accord avec le contenu de l'affirmation, mais ne dit pas que celle-ci constituerait un manquement à la reconnaissance de Son unicité (contrairement à ce qu'Il a dit dans les versets que vous avez cités, qui sont, eux, relatifs à l'affirmation d'une filiation de Jésus et de al-Lât à Dieu).

    -
    C) Pourquoi, pourrait-on demander, les musulmans, qui se disent d'une tradition voisine de celle des prophètes des fils d'Israël, n'utilisent-ils alors pas cette expression "fils de Dieu" en la restreignant au sens a, à propos de Jésus, ou, au moins, à propos de Muhammad ?

    Le fait est que, à propos de Dieu, nous musulmans n'employons que ce qui figure dans le Coran et la Sunna. Or le Coran et la Sunna n'ont pas utilisé cette formule, même dans son sens a. Et la raison en est évidente : de très nombreuses personnes comprenant désormais cette formule "fils de Dieu" dans le sens b et non plus uniquement dans lesens a, son emploi dans le Coran aurait été la cause d'une confusion pour toutes les personnes qui ne savent pas qu'affirmer cette expression dans son sens a n'implique pas qu'on l'affirme aussi dans son sens b ; comme elles ne savent pas – et la façon dont vous avez formulé votre question montre que c'est votre cas – que le fait de ne pas l'accepter dans son sens b n'implique pas qu'on en rejette totalement (c'est-à-dire même par rapport aux Ecritures antérieures) l'emploi dans son sens a.

    Nous sommes donc en présence d'une de ces différences qui existent entre les messages de différents Messagers de Dieu : dans le message apporté par l'un, Dieu a employé une formule qu'ensuite, suite à un changement de contexte dans le monde des hommes, Il a décidé, par Sa Sagesse, de ne plus utiliser.

    Ceci relève de l'abrogation d'une règle communiquée aux hommes par le biais d'un messager, par le moyen d'une règle communiquée aux hommes par le moyen du messager suivant. Ceci est tout à fait possible : cliquez ici pour lire quelques exemples de ce genre.

    Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).


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